Réfugiés – les mal-aimés de la société…
Publié le 11/12/13 à 12:08, Maria Dimitrova-Pichot sur le site de la RNB.
Enlisées dans des luttes intestines, les autorités bulgares ont été prises au dépourvu par l’afflux massif de réfugiés syriens au cours des quatre derniers mois. Face à l’urgence de cette situation, les responsables politiques ont réagi en mettant en place des programmes d’accueil et d’hébergement chiffrés à plusieurs millions d’euros – des sommes censées améliorer le quotidien des 11 000 demandeurs d’asile. Cette exceptionnelle mobilisation de moyens n’est pas passée inaperçue dans un pays où, selon les chiffres de la Commission européenne, près de la moitié de la population vit ou survit sous le seuil de pauvreté…
Ce cocktail explosif de précarité, d’instabilité politique et de sentiments xénophobes a été accueilli comme une aubaine par les mouvements nationalistes, qui surfent actuellement sur la vague de l’ambiance anti-immigration. La stratégie s’avère payante pour le parti d’extrême droite Ataka, qui parvient à faire remonter sa cote de popularité en l’espace de deux mois, grâce à cette poussée de fièvre nationaliste dans notre société. Selon une étude sociologique de l’agence Sova Harris, environ deux tiers des Bulgares verraient d’un mauvais œil l’arrivée de nouveaux migrants dans notre pays. Au-delà des considérations d’ordre identitaire, pour 65,2% des personnes sondées, la Bulgarie n’a tout simplement plus les moyens de prendre un charge un nombre croissant d’immigrés.
Un micro-trottoir réalisé par Radio Bulgarie Internationale dans le centre-ville de Sofia, révèle un clivage entre les partisans d’un durcissement de la politique migratoire (cette option rencontre un certain succès parmi les classes sociales défavorisées) et ceux qui militent pour une approche d’ouverture à l’égard des étrangers.
Maya Bojinova, 68 ans, met en avant l’idée de la préférence nationale, avec un sentiment de désarroi :
« Je compatis aux malheurs de tous ces gens, mais n’oublions pas que la condition de nos compatriotes n’est pas, non plus, enviable. Sur qui pouvons-nous compter pour prendre soin de nous ? Ma fille et son mari, qui sont parents de trois enfants, doivent cumuler plusieurs jobs pour s’en sortir. Je pense que la Bulgarie ne dois pas accueillir davantage d’immigrés – toutes ces personnes à la recherche d’une terre d’accueil, devraient plutôt être réorientées vers les pays occidentaux qui peuvent leur offrir un niveau de vie satisfaisant. »
Guéorgui Anastassov, 70 ans, n’est pas de cet avis :
« Tous ces individus ont beaucoup souffert avant d’arriver en Bulgarie et nous nous devons de les accueillir correctement. Bien sûr, le risque de laisser entrer dans le pays des membres d’organisation terroristes ou des criminels, existe, mais il ne faut pas faire de cette exception une règle. N’oublions pas que de nombreux Bulgares vivent à l’étranger et espèrent, eux aussi, être traités avec respect. »
Ce point de vue est partagé par Plamen Kolev, propriétaire d’une boutique sur la rue Pirotska – devenue depuis quelques mois un repaire pour les étrangers en situation irrégulière. Rappelons aussi que deux cas d’agression commises dans les environs de cette artère commerciale au cœur de la capitale, ont défrayé la chronique récemment.
« On doit aider tous ces réfugiés syriens qui sont en train de fuir un pays en guerre. »
Kiril Péév, 50 ans, adopte quant à lui une position plus nuancée :
« Cette immigration massive aura à coup sûr son impact sur notre vie au quotidien, ne serait-ce que par un phénomène de recrudescence des incivilités et des vols dans certains endroits à forte concentration de populations étrangères. Voilà pourquoi, nos dirigeants devraient essayer d’endiguer ce flot de réfugiés ou, le cas échéant, d’en renvoyer une partie vers les autres pays européens. »
La rhétorique xénophobe trouve traditionnellement une résonance particulière parmi les jeunes, même si les réactions violentes restent une exception, comme en témoigne l’avis de Guéorgui Dimitrov qui prône une approche modérée :
« Les immigrés ont leur place en Bulgarie, parce qu’ils ont été victimes des circonstances dans leur pays d’origine, en proie à une guerre civile. Mais ils doivent faire preuve de compréhension par rapport aux maigres moyens financiers mis à la disposition des autorités bulgares, qui ne permettent pas toujours d’assurer une prise en charge optimale à tous ces ressortissants étrangers. »
A l’opposé de ce jeune Bulgare, Ivo Pétrov – riverain du centre de rétention administrative, situé au Nord de Sofia, milite pour la mise un place d’un véritable « mur de Berlin » le long de la frontière bulgaro-turque, pour repousser les migrants :
« En regardant en arrière dans l’histoire de la Bulgarie, nous pouvons constater que notre pays n’a jamais bénéficié d’un soutien quelconque de la part de nos voisins ou d’un autre Etat, pourquoi alors devrions-nous porter assistance à ces immigrés aujourd’hui ? » – indique ce retraité qui ne cache pas son agacement à l’égard des instances européennes qu’il juge responsables de ce problème : « L’Europe de l’Ouest, protégée par sa situation géographique avantageuse, devrait se saisir de cette question. Car, à l’heure actuelle, ce sont les pays du Sud, comme l’Espagne, l’Italie et la Grèce, qui en souffrent le plus ! » précise-t-il.
Konstatine Ivanov, qui côtoie tous les jours les immigrés près de son domicile à cette même rue Pirotska, pointe les tentatives de récupération politique de ce sujet :
« Le gouvernement essaie de détourner l’attention des Bulgares des thèmes importants, en parlant à la longueur de la journée de cette crise humanitaire. Obnubilés par la question, on oublie des problèmes qui touchent au fonctionnement démocratique de nos institutions ! »