Nathalia Dréharova : Pour la joie dans les yeux des gens
Rédigé par Maria Dimitrova – Pichot, Septembre 2013.
« Travailleur social n’est pas une profession mais une vocation » dit Nathalia Dréharova, chef de la Direction de l’assistance sociale dans la ville de Harmanli au sud de la Bulgarie. Cette petite communauté non loin de la frontière de la Bulgarie avec la Grèce et la Turquie compte parmi les plus pauvres du pays. Et ce n’est pas les problèmes sociaux qui manquent…
On se demande comment cette femme énergique de 46 ans trouve la force d’être toujours aimable et souriante au milieu de la vaste mer de la souffrance humaine. Elle parle lentement, calmement et inspire immédiatement confiance à ses interlocuteurs. « Aider les gens est dans mon sang » dit Nathalia, rappelant qu’elle est une descendante de la légendaire Baba Iliytsa. Cette héroïne courageuse qui a soutenu les disciples révolutionnaires du poète Botev dans leur lutte pour la libération de la Bulgarie du joug ottoman. Agronome de formation, Nathalia a rapidement abandonné ce domaine d’activité pour l’Aide sociale qui lui est plus à coeur
Toutes les personnes dont nous nous occupons sont dans des situations très difficiles dit-elle. Un cas récent : un citoyen turc marié à une Bulgare qui a développé un cancer. Pour couvrir le coût du traitement la famille a du hypothéquer la maison. Sa femme est allée en Grande Bretagne pour gagner de l’argent, et lui en Allemagne. Les enfants sont restés avec les grands-parents. Entre-temps, le mari ayant excédé de neuf jours son autorisation de séjour en Allemagne, les autorités insistent pour l’extrader vers la Turquie en tant que citoyen turc. Si cela se produisait, les enfants seraient laissés seuls en Bulgarie. Les enfants ont en effet des grands-parents du côté maternel, mais ces derniers sont malades et handicapés et ne peuvent plus s’occuper d’eux. «D’ailleurs comment pouvez-vous séparer les enfants de leur père qui souffre d’un cancer et quand on ne sait pas combien de temps il lui reste à vivre» s’indigne Nathalia.
Elle ajoute que l’émigration économique à l’étranger de nombreuses personnes dans la région crée beaucoup de problèmes sociaux. Les enfants restent sous la garde de leurs grands-parents tandis que de nombreuses personnes âgées sont totalement abandonnées à elles-même dans les villages reculés, sans l’appui d’un être cher. Ces vieilles personnes sont l’un des groupes sociaux qui ont besoin d’aide non seulement matérielle, mais aussi en terme de temps à leur consacrer.
« Nous compensons en quelque sorte l’absence de la famille des personnes âgées solitaires. Nous envoyons des gens nettoyer chez eux, leur acheter de la nourriture, les aider à se laver etc. La situation en Bulgarie est telle que la majorité de leurs proches sont partis travailler à l’étranger et les anciens restent tous seuls dans leurs maisons. La vie dans la campagne est particulièrement difficile pour eux. »
Une autre catégorie vulnérable est celle des personnes handicapées qui ne sont pas en mesure de bien se prendre en charge. Plusieurs programmes spécialisés viennent à leur aide, comme l’Aide ménagère, sociale et de soutien pour une vie décente.
« Ce sont de grands programmes financés par l’UE, dit Natalia Dréharova. Pour qu’une personne soit en mesure de s’occuper d’un parent handicapé de façon permanente, elle doit quitter le marché du travail. L’idée est qu’une personne pourrait continuer à travailler si son proche handicapé était pris en charge par quelqu’un envoyé grâce à ces programmes. Nous évaluons le degré d’indépendance des personnes handicapées. Certaines sont contraintes à être alitées, mais d’autres peuvent encore se déplacer par leurs propres moyens. Et, en fonction de leur état, la municipalité nomme une auxiliaires de vie sociale pour prendre soin d’eux à temps partiel. »
Mais le groupe social le plus problématique dans la région c’est la minorité rom en raison de sa pauvreté et son analphabétisme. Les enfants sont le plus à risque. Surtout quand ils sont nés de mères mineures, une pratique qui continue d’exister dans les communautés roms.
« Les mères mineures sont un grand problème parce qu’elles n’ont pas d’éducation sexuelle. Elles donnent naissance à des enfants, mais elles n’ont aucune expérience pour les élever. Donc elles les abandonnent à des amis ou à des parents. La majorité d’entre elles viennent nous dire qu’elles ne peuvent pas et ne veulent pas prendre soin de leur enfant. Elles n’ont pas d’argent, pas de logement et pas de soutien de leur famille. Ainsi, l’enfant est confié à un orphelinat. Nous sommes maintenant à la recherche d’une meilleure option. Nous essayons de répondre à la problématique de ces bébés abandonnés par des familles d’accueil ou un replacement familial s’ils ont des parents et amis qui veulent prendre soin d’eux, explique Mme Dréharova. »
Le retour à l’environnement familial au sein de la communauté rom reste cependant une question délicate. Il faut faire une étude sérieuse et ensuite engager une démarche pour l’acquisition de compétences parentales par la famille ou les proches.
« La réintégration est un peu délicate. Il faut très soigneusement évaluer si l’enfant doit être retourné à sa famille, car ce n’est pas toujours la meilleure chose pour l’avenir de ces enfants. Dans leurs familles biologiques, il peut exister des circonstances très risquées dans certains cas. Parfois, pour ces enfants, il vaut mieux même être dans un orphelinat ou toute autre forme de garde d’enfants, mais pas de retourner dans leur milieu familial biologique.
« Notre travail est difficile, mais il est noble », conclut Nathalia Dréharova avec une fierté non dissimulée.